Tour de Corse du Kallisté
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Jour 37 : mercredi 21/08/2013

Centuri - Barcaggio (11,700 km)

Levé à 6 heures :
La nuit a été plus tranquille que la précédente et je n’ai pas dû jouer les taupes sous ma bâche. Par chance, le duvet n’est pas humide. Je pourrai donc le ranger plus vite et partir plus tôt, ce qui n’est pas pour me déplaire.
A l’autre bout de la plage, le pêcheur d’hier matin prépare son « sit on top » pour sa sortie de pêche. Il y monte une hélice de propulsion, alimentée par une batterie. Je vais le saluer et nous parlons un peu de météo. Lui, restera à l’abri de la rade, et me déconseille de partir plus loin car les prévisions ne sont pas bonnes.
Entre l’île de Capense et la côte de Centuri, il y a un chapelet de rochers à fleur d’eau, où entre amis on vient parfois pécher l’été. Je m’informe auprès de lui s’il y a un passage possible pour mon kayak, ce qui m’éviterait de faire le grand tour de l’île. Effectivement il y en a un qui serpente entre les roches et qui devrait suffire à mon passage. Il l’emprunte régulièrement mais parmi ce chapelet de rochers, il ne faut pas louper l’entrée. Il me l’indique du doigt et j’essaie de le mémoriser.
De retour près du Kallisté, je regarde la mer qui me semble calme, en tout cas dans cette partie de Golfe que je peux voir. Devoir rester bloqué une journée de plus ici me pèse et d’autre part, les prévisions météo ne sont pas encourageantes pour s’aventurer dans le franchissement du Cap Corse. Je fais la balance entre les deux options, et en fait hésite peu car ma décision était déjà prise, inconsciemment. C’est décidé : je pars.

7 heures 45 : Si tu ne viens pas à Lagardère…
Pour protéger le Kallisté des rochers lors de la mise à l’eau, je récupère un tronc de bois flotté sur la plage et le place en bord de rive, calé entre de gros galets. Cette méthode "à la castor" m’a déjà sauvé la mise lorsque j’ai quitté la plage de Nichiareto, particulièrement accidentée. Elle s’avère être utile et efficace ici aussi et permet au Kallisté de retrouver l’élément marin sans trop frotter sa coque sur les rochers.
Je m’éloigne et me dirige vers l’entrée de la passe (pas évident à trouver parmi ces amas rocheux). La voici ! Enfin j’espère. C’est la plus proche de l’île. J’y entre, les yeux fixés vers l’étrave pour repérer, entre les pointes de rochers, où je pourrai bien passer. Il me faut slalomer serré mais je finis par passer, même si le Kallisté se frotte un peu sur la fin. De l’autre coté de la baie, je retrouve mon pécheur affairé à sa passion. Je passe près de lui. Il confirme mon soupçon : j’ai pris la bonne entrée mais pas la bonne sortie. Tant pis, c’est fait à présent et j’ai évité le grand tour de l’île Capense. Il me souhaite bonne navigation et je poursuis ma route.
Je dépasse Centuri, après quoi je sais qu’il n’y a plus d’arrêt possible avant le port de Tollare, et ce n’est pas la porte à côté. La mer ondule un peu mais dans l’ensemble elle est calme, en tout cas elle me convient. A l’horizon, aucun bateau en vue et je dois me résoudre à cet isolement.
A l’ approche de Capu Biancu la mer se creuse et je trouve le vent annoncé par la météo : 18 nœuds. Soit un vent de 30 à 40 km/h ou force 5 Beaufort. Comme de bien entendu, le vent me vient de face et lève de belles vagues qui me demandent beaucoup d’efforts. Pour autant, pas question de faire demi tour, je dois avancer. J’arrive à la Punta di Corno di Becco.

La mer est a présent bien formée. La météo prévoyait un 5 à 7 Beaufort sur zone : je crois que j’y suis. Les rafales de vent se succèdent et m’obligent à souder mes mains à la pagaie pour éviter qu’elle ne s’envole. Par moment j’ai l’impression que c’est le vent et les vagues qui dirigent le kayak. Le gouvernail est comme inefficace devant tant de forces contraires.
A ce moment, une seule chose me préoccupe : ne pas me laisser déporter trop près de la falaise tombant à pic dans la mer, car les forts ressacs qui s’y brisent en feraient de même avec le kayak. J’avance plus ou moins en zigzag, au gré des vagues et du vent. Je commence à avoir mal aux fesses, aux genoux et aux mains à force de contractions et je ne suis pas au bout de mes peines.
Capo Grosso annonce le grand virage vers l’Est. La mer forcit encore. Je pénètre la Anse de l’Arinella et découvre, tout en haut sur sa falaise, le sémaphore du Cap. Les vagues sont hautes, couronnées d’écume, et quand je suis dans leurs creux, j’ai l’impression d‘être dans un trou, sans horizon. Malgré mes efforts j’ai souvent le sentiment de ne pas avancer, de faire du surplace, montant et descendant les vagues comme un bouchon. Des paquets d’eau tombent sur moi et se réfugient dans l’hiloire (j’ai bien une jupe de protection mais ne l’ai pas mise, elle dort dans un coffre du kayak).
Le passage de cette anse semble interminable. Je regarde le sémaphore pour apprécier ma progression. Il a l’air toujours aussi loin, preuve de ma faible vitesse face aux éléments. J’ai mal dans presque tout mes muscles à force de tension. Je finis par passer, puisant toutes mes forces. Sur ma droite, je reconnais la petite plage (?) que j’avais repérée sur Google Earth. Déception : elle n’est que gros galets à la rive haute. Avec ces vagues, pas question de tenter un accostage. Il y aurait de la casse, et dans ce lieu perdu, ce n’est pas le moment. Je continue donc, apercevant l’île de la Giraglia tout au large. Certaines vagues sont très grosses et je dois lutter fort pour ne pas me laisser déporter vers la côte où elles se brisent en de puissantes gerbes d’écume.
Mon corps n’est que douleurs et j’espère qu’après la dernière pointe dans ma ligne de mire je pourrai découvrir le port de Tollare. Arrivé à sa hauteur, les vagues augmentent en puissance et le vent semble doubler. La Pointe passée, je découvre comme par enchantement, une Tour au raz de l’ eau, puis une maison, puis une autre. Plus de doute : c’est Tollare.
La plage étant encore plus loin, je pare au plus pressé et me dirige vers le minuscule port. Quelques rochers en pleine eau m’incitent une approche prudente et c’est projeté par une grosse vague que j’entre dans le port, droit vers la rampe de mise à l’eau. Je débarque, fourbu, cassé, mais heureux d’être arrivé.
L’hiloire est à moitié rempli d’eau et de ce fait trop lourd à tirer. J’écope en mer à deux mètres du rivage. Ainsi allégé, je tire le kayak à l’abri et peux enfin souffler. Je me repose un peu plus haut, pour laisser à mes articulations le temps d’évacuer leurs douleurs.
Il est 11 heures 10 : soit 3 h 25 de navigation plus que sportive et pénible pour faire 8.5 km.
Je sors du village et vais à la paillote sur la plage proche. J’ai bien mérité je pense un petit rafraîchissement et quelque chose à grignoter. Il n‘y a pas beaucoup de choix et je dois me contenter d’un hamburger / frites. La plage est de galets, bordée de banquettes (algues mortes). Quelques rares touristes de passage sont allongés au soleil.
Mon repas terminé, j’étale ma natte de plage sur une banquette de la plage pour une petite sieste au soleil qui tape fort. Quelques vacanciers se baignent, d’autres, des randonneurs, poursuivent leur route par le sentier des douaniers. Au large les moutons se font plus rares.

16 heures 50 :
Je décide de reprendre la mer pour me rendre à Barcaggio qui n’est pas très loin. Il y a une petite houle mais ça devrait aller, par rapport au temps de ce matin, ce n’est rien. Je retourne au port, mets le kayak à l’eau et m’élance. A la sortie du port, je contourne quelques hauts fonds et mets le cap plein Est.
Rendu à la dernière pointe, celle juste avant Barcaggio, j’en découvre le port tout à ma droite et plus loin, une immense plage avec hélas énormément de monde. Je me dirige vers la partie la plus éloignée du village où la foule est un peu moins dense. A l’approche je constate que l’eau y est peu profonde sur une longue distance. Quelques roches immergées et surtout les baigneurs m’obligent à la prudence. Les rouleaux près du bord me font embarquer quelques litres d’eau que je devrai écoper.

17 heures 20 :
Le Kallisté touche le sable, je débarque et le hisse sur la plage essayant de trouver une petite place parmi les nombreux présents, sans trop déranger. Je suis proche d’une saillie rocheuse qui va jusqu’à la mer. De l’autre côté, la plage continue, par endroit bordée de banquettes. Il y a même une paillote à l’orée du maquis.
C’est une belle et grand plage de sable fin mais je ne peux que regretter la foule énorme qui l’a investie. Pour me rassurer, je me dis que la nuit venue, tout ce beau monde s’en ira et que je me retrouverai tranquille.
Laissant le Kallisté sur place je vais faire un tour au village de Barcaggio. Arrivé en bout de plage, il y a deux chemins pour rejoindre le village. L’un continue de longer la mer et traverse une étendue vaseuse pour conduire juste sous le restaurant qui jouxte le parking. L’autre emprunte un chemin qui entre dans le maquis, passe sur un petit pont enjambant le cours d’ eau, et débouche à l’entrée du parking (payant). Je choisis la première solution, plus directe.

Le cœur du village est plaisant et le petit port agréable. Au large on voit très bien l’île de la Giraglia, juste en face. Je m’installe à la terrasse d’un bar, au bord du port . Tout en buvant mon café, j’ai le loisir de pouvoir regarder les joueurs de boules dont le terrain est juste en contrebas d’où je suis. Ensuite, une petite visite du village avant de rejoindre le kayak, par le second chemin cette fois.

Note : la plage de Cala de Barcaggio peut se diviser en deux parties, délimitées par une bande de roches allant jusqu’à la mer. La partie Ouest, qui commence à la sortie du village, est de sable fin. La partie Est, également de sable, est bordée de banquettes épaisses. C’est ce côté qui s’honore d’un snack (ne sert pas à manger le soir).

Je calme ma faim près du kayak par un bout de pain et du fromage.

21 heures : Zone naturelle protégée.
La foule a déserté la plage et le soleil rejoint son quartier de nuit. Un garde de la Réserve faisant sa ronde m’aborde. Il me fait remarquer que la plage fait partie de la Réserve Naturelle, et de ce fait, le bivouac y est interdit. Il m’indique que je peux laisser le kayak ici mais que pour ma part je dois aller bivouaquer sur le parking du village. Un autre garde passera plus tard et s’il me trouve ici je risque une amende : saisie du matériel de bivouac et amende de 130 € (la saisie du matériel inclut dans mon cas la saisie du kayak). La Loi étant la Loi et les gardes assermentés étant ce qu’ils sont de par leur fonction, je m’abstiens de toute discussion.

(Je pourrai lui faire remarquer qu’il doit être apte à juger d’une situation particulière et exceptionnelle, et si celle-ci est vraiment nuisible ou non à l’environnement. Que des centaines de gens ont piétiné la plage et les environs tout le jour en toute impunité et que ce n’est pas moi, par le fait d’envisager de dormir à même la plage, qui allait dénaturer le site, d’autant plus que j’ai toujours respecté les lieux que j’occupe. Bref… inutile d’envenimer les choses et de gâcher un parcours qui jusque là c’est bien passé.)

J’opte donc pour l’option parking.
Je prépare tout mon matériel nécessaire au bivouac, m’assure que le kayak est suffisamment à l’abri de la mer, en recouvre l’hiloire de son cache et pars, les bras chargés, en direction du parking à la lueur de ma lampe frontale car la nuit est déjà bien noire.
Quelques voitures occupent encore le parking, et en attendant qu’il se vide, je vais boire un café au restaurant qui le jouxte, en bord de mer. Là, j’y trouve un client, barbu, la trentaine, qui fredonne à son bébé une chanson de Boby Lapointe, «La maman du poisson ».
Appréciant particulièrement cet artiste disparu et trop méconnu, et le fait d’entendre un homme si jeune chanter à un bébé une de ses chansons, me réjouit et me fait sourire intérieurement.
Le parking s’étant pratiquement vidé, je choisis un coin  moins éclairé pour installer ma couche, non loin d’un camping car, seul véhicule restant. Hélas je ne suis pas loin non plus de la sortie du cours d’eau et de son eau stagnante qui dégage une légère odeur pas très agréable. Cela étant, la nuit se passera sans problème.

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