Plage de Bodri - Baie de l’ Acciolu (18,700 km)
Levé à 6 heures 30. La mer est belle et sans vent. Je vais pouvoir partir.
Pour tout petit déjeuner, je me contente de finir mon jus de raisins. Je plie duvet et bâche, puis range toutes mes affaires dans les sacs étanches et place le tout dans les coffres et sur le pont du kayak.
Entre le Kallisté et la mer, un crocodile de sable se dresse fièrement et semble ne pas vouloir bouger pour me laisser le passage. J’ai quelques scrupules à tirer le kayak en ligne droite, lui passant ainsi dessus et le défigurant en tout ou partie. Je tire donc le kayak sur le coté pour ne rien détruire et le présente en bord de mer, sans avoir toucher la bête endormie. Ainsi, le créateur de cette oeuvre éphémère la retrouvera intacte lorsqu’il reviendra sur la plage. Ils pourront ainsi attendre ensemble la prochaine grosse vague qui la détruira. En tout cas je n’en serai pas responsable.
8 heures : le départ.
Comme souvent, le départ matinal m’assure une mer calme et je suis soulager de constater qu’il y a très peu de rouleaux. Je m’élance et m’éloigne, laissant derrière moi la plage de Bodri encore déserte. Je ne tarde pas à approcher d’Île Rousse et la vue de l’île de La Pietra me fait regretter de ne pas avoir ma mini caméra prête pour jouer les Fellini.
Pour me consoler, je me dis qu’ayant un soleil aveuglant en pleine face on aurait pas vu grand chose dans ce film.
Pour éviter de contourner l’île de La Pietra sur laquelle domine le phare éponyme, je plonge vers la droite en direction du bras de terre qui la relie à la Corse, faisant d’elle une presqu’île. Ce bras de terre sur lequel passe la route menant au port, cache en son centre un petit pont qui débouche dans le port de plaisance, derrière. Ce pont n’est pas aisé à trouver quand on à le soleil de face. Il est vraiment minuscule, autant en largeur qu’en hauteur. Seul un bateau de la taille d’un kayak peut prétendre y passer dessous.
Il est 8 heures 30 lorsque je franchis le pont et débouche dans le port de plaisance. J’ai fait cette partie d’étape deux fois plus vite que mon estimation et décide de ne pas faire d’arrêt à Île Rousse. Je sors du port et longe la rive d’assez près.
Peu avant la grande plage j’aperçois deux petites têtes de rochers sortant de l’eau. Elles sont espacées de 5 mètres environ et les observe pour savoir si je dois passer entre elles ou les contourner par le large. Ne voyant ni écume ni vague entre elles je décide de passer au milieu. A 1 mètre du point de passage, le creux d’une vague laisse apparaître un troisième rocher, en plein milieu, juste sur ma trajectoire. Trop tard pour une manœuvre d’évitement, l’élan me conduit droit dessus.
J’entends le choc sous la coque du kayak et me retrouve immobilisé dessus le rocher, en équilibre instable. Je me sers de la pagaie pour maintenir mon équilibre et m’en dégager. Les deux minutes nécessaires à me sortir de cette situation sont longues, mais je finis par passer. Pas de dégât visible à bord, mais certainement une cicatrice de plus pour le Kallisté.
Je constaterai plus tard que sous la coque, au niveau du passage de dérive, la bande de protection de coque a été arrachée sur 20 cm.
Je longe la plage un peu au large qui se continue par une côte rocheuse. Je passe Punta Saleccia et continue au large vers Punta di Lozari. A ma droite, au fond de la anse qui se découvre, la belle plage de sable de Lozari et le mirage d’une paillote.
9 heures 50 :
J’accoste et vais y prendre un chocolat chaud avec des Canistrelli (petits gâteaux secs Corse). Le temps de mettre à jour mon livre de bord et de consulter ma carte d’étape il est déjà 11 heures. Je pense que je ne trouverai plus de quoi me restaurer avant Saint Florent. Je déjeunerai donc ici puisque je suis déjà bien installé.
La plage, déserte à mon arrivée, se remplit peu à peu jusqu’à être envahie de monde. L’heure de me substanter un peu arrive et aiguise mon appétit : mauresque, entrecôte au poivre vert / frites, café et une glace trois boules pour rafraîchir mon palais.
La paillote est pleine et les serveurs s’affairent, passant d’une table à l’autre. Au dehors le ciel se voile et la chaleur devient vite insupportable. Mon repas terminé, je rejoins le Kallisté. L’horizon est calme mais de gros rouleaux accentués par la pente raide viennent mourir sur la plage. Je sors mon duvet et l’étale sur le kayak pour finir de le faire sécher au soleil.
L’heure de partir approche et je m’inquiète des rouleaux qui ne cessent pas. Un baigneur se propose de m’aider à maintenir le kayak pendant que je monte à bord. Malgré mon inquiétude des rouleaux, il sera fait ainsi.
15 heures 50 :
Je m’élance. Le départ se passe sans problème et je m’éloigne de la plage en jouant sur les vagues. Je traverse très au large la Anse de Peraiola et sa plage de l’Ostriconi. Cette belle plage de sable fin, bordée de dunes peut devenir dangereuse quand vents et courants s’y invitent. Les noyés n’y sont pas rares.
Je bifurque au Nord vers la Punta di l’Acciolu. Je ne ressens aucune fatigue aux bras et continue ma progression. La pleine forme. Seule une petite douleur dans mon assise commence à poindre mais n’est pas trop gênante… pour l’instant.
J’entre dans la Baie de l’Acciolu et rien de m’indique la présence d’une plage où m’arrêter. Cependant, je devine tout au fond de la Baie un espace qui pourrait bien y ressembler. En tout cas j’y devine quelques silhouettes à formes humaines, signe d’ un repos possible.
Est-ce la plage recherchée ? Je m’attendais à une plage plus grande, mais il n’ y en a pas d’autres en vue. J’accoste.
La plage de sable est vraiment petite avec sa partie droite couverte de banquettes (amas d’algues séchées). La famille qui l’occupe s’apprêtait à partir sur leur petit semi rigide. Ils me confient que la plage était bien plus belle avant, mais que les tempêtes d’hiver l’ont quelque peu abîmée.
17 heures 50 :
Je me retrouve seul sur cette minuscule plage perdue. La partie gauche où je suis, arbore quelques rochers ainsi qu’une sorte de portique de bois flotté sur lequel j’étale mes vêtements. A côté, une très vieille chaise en plastique est la bienvenue pour un repos mérité. Ainsi posé dans ce décor improbable, j’ai le sentiment de jouer les Robinson Crusoé, d’autant plus que nous sommes un vendredi.
Sur le haut de la plage, parmi la roche, je découvre une espèce de source qui n’est en fait qu’un trou humide où suinte un peu d’eau. Tout est calme, silencieux, et derrière moi s’étale le maquis à perte de vue : le Désert des Agriate.
En mer, aucun bateau et j’en aurais d’ailleurs croisés peu durant cette étape. La plage est étroite mais devrait suffire à mon bivouac. Le soleil décroît et finit par disparaître derrière la Punta di l’Acciolu. L’horizon prend une couleur orangé du plus bel effet et les senteurs parfumées du maquis embaument ma petite plage. Le dîner sera à la hauteur de mon isolement : Chips et eau.
Si le bord de plage est de sable, la partie haute est de galets. C’est là que je poserai ma couche.